Nos enfants ne nous appartiennent pas.
Si vous êtes parent, vous vous souvenez probablement de cette discussion. Et si vous ne l’êtes pas encore, il est fort possible qu’un jour vous l’aurez : ‘’ Chéri, quel nom allons-nous donner à cet enfant que je porte?’’. Pour beaucoup de couples, cette question marque le début d’un conflit interminable. Les gens ont des préférences différentes et la discussion y relative peut être houleuse. Il y en a même qui entament ce débat dès les fiançailles.
Je me souviens d’un matin où j'ai reçu un appel d’une amie qui me demandait de lui proposer un nom grec, qui sonnerait bien, pour son nouveau-né, sachant que j’avais quelques connaissances en grec. D’autres choisissent des noms hébreux sans se soucier de leur signification.
Cet article se propose d’éclairer les couples qui se retrouvent dans une situation d’impasse de trouver un prénom à donner à leur enfant. J’aborderai la manière dont les noms étaient attribués dans le Burundi traditionnel, puis la façon dont les noms sont donnés dans la Bible, ensuite j’examinerais la situation contemporaine au Burundi en ce qui concerne la nomination des nouveau-nés, et enfin, je pense offrir quelques conseils pour naviguer entre tradition, culture et modernité en tant que chrétiens.
Lorsque je suis parti étudier au Kenya, une des questions qui m’embarrassait le plus était de devoir expliquer pourquoi je ne porte pas de nom de famille. Lorsque mes interlocuteurs insistaient, j’étais fier de leur expliquer qu’au Burundi, nous n’avons pas de noms de famille pour des raisons culturelles bien précises.
Dans le Burundi traditionnel, le nom revêtait une grande importance car il était considéré comme un élément fondamental de l’identité, articulant l’histoire collective et individuelle à l’histoire singulière d’une personne, voire à sa destinée, comme l’explique l’anthropologue Léandre Simbananiye. Il affirme que, dans le Burundi traditionnel, la nomination était un acte inaugural d'intégration dans la société. Le nom portait toute une histoire de celui qui le donnait et devait éclairer celui qui le portait dans ses relations avec les autres, tel était le souhait du donneur.[1]
La plupart des noms étaient attribués en fonction des circonstances entourant la naissance de l’enfant. D’après ce même anthropologue, lorsque la famille avait perdu de nombreux enfants, les parents pouvaient choisir des noms tels que Busabusa, Ntazina, ou Ntakije, qui signifient respectivement ‘’ rien ‘’, ‘’sans nom ‘’, et ‘’rien ne vient ‘’, suggérant que la naissance de l’enfant est un non-événement[2]. Ils pouvaient aussi donner à l’enfant des noms à connotation négative pour camoufler son existence, une pratique connue sous le nom de ‘’Gutukira ‘’, comme l’explique Elvis Vyizigiro[3]. Ainsi, des noms tels que Munuko (qui signifie puant ) , Kibwa (grand chien), Ntamwana ( Il n’est pas enfant) étaient parfois attribués.
Certaines situations particulières dictaient également le choix des prénoms. Par exemple, du septième au dixième enfant, les noms de rang étaient attribués : Nyandwi, Minani, Nyabenda, et Bucumi, dérivés des chiffres sept, huit, neuf et dix en Kirundi, correspondant au rang de naissance de l’enfant[4].
Au-delà du dixième enfant, des noms exprimant l’idée que les parents acceptaient de voir une famille nombreuse étaient choisis, comme Karenzo, attribué au onzième enfant. La naissance de jumeaux imposait les noms de Bukuru (l’aîné) et Butoyi (le cadet). L’enfant né après des jumeaux pouvait recevoir des noms appropriés tels que Nkurikiye, Ciza ou Congera.[5]
Les noms étaient également choisis en fonction du climat social entourant la naissance de l'enfant : injustices, haine, jalousie, mort, catastrophes, etc. Des noms tels que Nsanzurwimo, Nziko banyanka, Nikobamye, Barampana, Ruraseha, et Ndayahunzwe relèvent de cette catégorie. D’après Léandre Simbananiye, c’était une manière d’inscrire dans l’histoire familiale le climat social prévalent, avec un message destiné à ceux qui nourrissaient de mauvaises intentions, pour qu'ils sachent que celles-ci n'étaient pas ignorées, les mettant ainsi en garde. L’enfant ainsi nommé était prévenu de l’hostilité qui régnait dans son environnement d'accueil et devait savoir se comporter en conséquence. Une leçon de prudence était gravée dans sa mémoire pour guider ses gestes au quotidien.’’[6] Le nom, porteur de toute une histoire de celui qui le donnait, devait éclairer celui qui le portait dans ses rapports avec les voisins.
Les noms exprimaient également les croyances religieuses et spirituelles des parents en donnant des noms qui se réfèrent à Dieu, les gens demandaient protection et exprimaient leur reconnaissance envers Lui.
En somme, comme le souligne Léandre Simbananiye, les noms burundais portent en eux un message que le donneur adresse à divers destinataires : à l’enfant, lorsque le nom exprime des souhaits ou des espérances ; à Imana, pour manifester sa gratitude envers les bienfaits reçus ; aux forces du mal, dans une tentative de les conjurer ; et aux voisins, pour exprimer les sentiments qu’il nourrit à leur égard[7].
Dans la Bible, les noms sont porteurs de significations profondes qui reflètent la foi, les circonstances de vie ou la destinée spirituelle des individus. Chaque nom dans les Écritures est chargé de sens et peut fournir des informations importantes sur la personne qui le porte, son rôle dans l'histoire biblique, ainsi que le message que Dieu veut transmettre à travers elle[8].
Noms révélant la foi des parents ou leur relation avec Dieu
À l’instar des noms théophores c’est-à-dire des noms qui se réfèrent à Dieu au Burundi, certains noms bibliques se réfèrent directement à Dieu. Par exemple, Élie signifie ‘’ Yahweh est mon Dieu’’, et Samuel signifie ‘’Dieu a entendu ‘’. Ces noms expriment souvent la dévotion des parents à Dieu et leur foi en Lui.
Noms reflétant les circonstances de naissance
Il est intéressant de noter que le système de nomination dans la société juive présente des similarités avec celui du Burundi traditionnel. Dans la Bible, certains noms étaient attribués en fonction des circonstances de la naissance d’une personne ou des événements entourant sa vie. Par exemple, Noé, qui signifie ‘’ repos ‘’ ou ’’ consolation’’, a été nommé ainsi par ses parents dans l’espoir qu’il apporterait réconfort et délivrance après la malédiction sur la terre (Genèse 5 :29). De même, le nom Ichabod, qui signifie ‘’la gloire est partie ‘’, est donné par la mère de l’enfant né après que l’Arche de l'Alliance eut été capturée et que son mari et son beau-père furent morts (1 Samuel 4 :21).
Noms reflétant la destinée spirituelle et la mission divine
Certains noms bibliques sont donnés pour refléter une identité ou une mission spirituelle confiée par Dieu. Par exemple, le nom de Jésus (Matthieu 1 :21) est étroitement lié à sa mission de sauver les gens de leurs péchés.
Les noms dans la Bible ne sont pas simplement des étiquettes. Ils sont profondément ancrés dans la spiritualité, les expériences humaines, et la révélation divine. Ils servent de témoins de la relation de l’humanité avec Dieu et d’instruments pour transmettre des messages divins à travers les générations[9].
Le système de nomination des personnes au Burundi a commencé à changer avec la colonisation. Les Burundais ont alors commencé à porter à la fois des noms étrangers et des noms kirundi. Avec l’arrivée du christianisme, les missionnaires ont qualifié les noms kirundi de ‘’païens’’, tandis que les noms étrangers ajoutés lors du baptême, étaient considérés comme des noms chrétiens. C’est ainsi que, souvent, lorsqu’une personne présente son nom kirundi, on lui demande son nom chrétien, c’est-à-dire son nom étranger. Le système de nomination continue d’évoluer, et chaque nouvelle génération a des noms qui lui sont propres.
Lorsque nous avons eu notre premier fils, nous avons décidé de le nommer Timoteyo. J’ai dû fournir de nombreuses explications à ma famille, à mes amis et à mes voisins pour justifier le choix d’un nom perçu comme ‘’dépassé’’ pour un bébé. Ils m’ont expliqué que Timoteyo est un nom de vieillard, non de nouveau-né. Certains m’ont même suggéré de choisir un nom à la mode en utilisant le Google pour trouver le ‘’Top 10’’ des prénoms qui étaient à la page en 2018. Ils essayaient de me convaincre que mon fils risquait d’être gêné par un nom ‘’dépassé’’ et humilié par d’autres enfants au prénom plus moderne et ‘’civilisé’’.
Aujourd’hui, au moment j’écris cet article, mon fils va bientôt avoir six ans, et je n'ai jamais rencontré de problème lié à son prénom. Il en est fier, et nous remercions Dieu pour cela. En effet, les enfants de sa génération au Kenya portent des noms que beaucoup de Burundais considéreraient comme désuets. Au Kenya, les bébés portent encore des prénoms tels qu'Aaron, Matthieu, Marie, Théodore, Jérôme, et Élisabeth, ainsi de suite.
Il est vraiment déplorable de constater que nous avons perdu les repères de notre riche culture en matière de nomination. Les Burundais choisissent aujourd’hui des noms qui sonnent bien ou qui sont à la mode, indépendamment de leur signification. Personnellement, je rencontre des difficultés à prononcer certains des prénoms des enfants de cette génération. Si, avec mon niveau d'instruction, j'ai du mal à les prononcer, qu’en est-il de nos parents qui n’ont pas eu la chance d’aller à l'école ? Certains parents vont même jusqu’à combiner les syllabes de leurs propres noms pour créer des prénoms inédits, mais dépourvus de toute signification. Je pense que cela ne devrait pas être le cas pour les chrétiens, qui cherchent à suivre la révélation de Dieu dans tous les aspects de leur vie.
‘’ Ne vous conformez pas au siècle présent, mais soyez transformés par le renouvellement de l'intelligence, afin que vous discerniez quelle est la volonté de Dieu, ce qui est bon, agréable et parfait. ‘’ (Romains 12 :2)
La plupart du temps, le choix d’un nom est motivé et façonné par ce que les parents aiment et les personnalités qui admirent. Pourtant, pour un chrétien, la pratique de la nomination devrait être inspirée de cette vérité indiscutable : nos enfants ne nous appartiennent pas. Chaque enfant, qu’il vive dans notre foyer ou ailleurs sur la planète, appartient à celui qui l’a créé[10]. Les enfants sont la possession de Dieu, comme le souligne le Psaume 127 :3 : ‘’Voici, des fils sont un héritage de l'Éternel, le fruit des entrailles est une récompense.’’ Être parent est une mission d’ambassadeur, de la naissance de l’enfant jusqu’à sa majorité. Cette tâche ne doit pas être façonnée par des intérêts personnels, des besoins individuels, ou des perspectives culturelles, mais plutôt par une soumission totale à la volonté de Dieu.
Donner un nom est donc une occasion précieuse accordée aux parents pour enseigner, l’enfant, la communauté, pour exprimer leur dévotion envers Dieu et pour affirmer leur espérance en Dieu vivant. Les parents doivent être conscients de cette responsabilité, sachant qu’ils ont été placés sur terre à un moment et en un lieu spécifique pour accomplir cette mission[11]. Ils devraient choisir des noms qui servent matériels didactiques, pour aider leurs enfants à enraciner leur vie dans la révélation de Dieu telle qu’elle est exposée dans la Bible. Les noms doivent être choisis de manière à ce que, si l’enfant vous demande un jour pourquoi vous l’avez appelé ainsi, vous puissiez fournir une explication fondée qui contribue à l’instruire dans la voie de Dieu. Le nom et le prénom devraient seulement sonner bien et être à la page pour être donné à l’enfant mais devraient également servir de guide spirituel pour l’enfant, lui permettant de comprendre son identité à la lumière des enseignements de la Bible.
Pour chaque croyant, toutes les actions doivent être faites dans le but de glorifier Dieu et d’enseigner la communauté sur la nature de Dieu et l’espérance que nous avons en Lui. En tant que chrétiens burundais, nous devrions conserver ce qui est bon dans notre culture et le préserver, car il a plu à Dieu de nous créer Burundais. Nous ne devrions pas privilégier des noms étrangers, mais être fiers de nous affirmer comme des Burundais. Comme nous l’avons vu, les Burundais attribuaient traditionnellement des noms avec une signification et un message précis, loin de tout choix arbitraire. Nous devrons préserver cette richesse culturelle en veillant à ce que les noms que nous donnons à nos enfants contiennent de message à transmettre. Nous devons éviter les noms dénués de signification, en nous ancrant dans les valeurs et les traditions qui ont toujours guidé la nomination au Burundi.
En tant que chrétiens burundais, nous avons la responsabilité de choisir des noms qui glorifient Dieu et qui servent d’exemples vivants de notre foi et de notre identité culturelle. Chaque nom donné devrait être porteur de message, de foi, et d’espérance, révélant à tous la grandeur de notre Dieu et notre vision du monde.
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[1] Simbananiye, Léandre. ‘’Les noms de personnes au Burundi : Un support du lien social.’’ Anthropologie et Sociétés 29, no. 1 (2005): 167–181.
[2] Ibid
[3] YouTube
[4] Simbananiye, Léandre. ‘’Les noms de personnes au Burundi : Un support du lien social.’’ Anthropologie et Sociétés 29, no. 1 (2005): 167–181.
[5] Ibid
[6] Ibid
[7] Ibid
[8] Ryken, Leland, James C. Wilhoit, et Tremper Longman III. Dictionary of Biblical Imagery. Downers Grove, IL: InterVarsity Press, 1998, 1050
[9] Ibid
[10] Paul David Tripp, Parenting: Gospel Principles That Can Radically Change Your Family (Wheaton, IL: Crossway, 2012), 14.
[11] Paul David Tripp, Parenting: Gospel Principles That Can Radically Change Your Family (Wheaton, IL: Crossway, 2012), 14.
Janvier Ndikubakuru est un mari dévoué au Dr Benigne NIYONGERE et un père fier de deux merveilleux fils.
Avec un arrière plan d'implication active dans IFES Burundi ainsi que Langham preaching, sa passion pour la prédication par exposition n'a fait que grandir. Son passé dans le ministère pastoral au sein de l'Eglise Evangélique ses Amis n'a fait qu'attiser son appel pour le pastorat.
Actuellement, il complète son MDiv en Etudes Bibliques à Negest, à Nairobi. Il a un intérêt accentué pour la lecture des livres.
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