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Clément d’Alexandrie

Le philosophe chrétien

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Chez Clément d’Alexandrie, Platon et Jésus, Athènes et Jérusalem se mélangent intimement.

01 Avril 2023

Aujourd’hui nous clôturons notre série sur les Pères de l’Église avec Clément d’Alexandrie. Il faudra le distinguer de Clément de Rome, sur qui on a déjà écrit ici.

Sa vie

Son nom complet étant Titus Flavius Clemens, il sera connu comme Clément d’Alexandrie, non pas parce qu’il y était né, mais parce qu’il y a exercé une activité importante pendant une partie de sa vie. Sa date de naissance est incertaine, sans doute quelque part au milieu de 2eme siècle. Certains pensent qu’il serait né en 150. Son lieu de naissance serait Athènes, et c’est là qu’il hérita un intérêt aigu pour la philosophie.

Né des parents païens, il reçut une solide formation littéraire et acquit une très vaste culture grecque. Il étudia longtemps la philosophie en s'attachant de préférence à celle de Platon. Il voyagea ensuite, visitant en touriste intelligent la Grèce, l'Italie, l'Asie Mineure, la Syrie, la Palestine, avant de se fixer, en Égypte, à Alexandrie. Ses voyages n'étaient rien d'autre qu'une quête de la sagesse : il alla de maître en maître avant de trouver, à Alexandrie, ce qui allait changer toute sa vie.

C’est là qu’il rencontra Pantène, fondateur d’une école philosophique chrétienne. Ce dernier exerça une profonde influence sur Clément. Grace à lui, il se convertit au Christianisme et devint lui-même un maitre spirituel. Il y fut disciple de Pantène, jusqu'à lui succéder à la direction de l'école catéchétique vers 187. Certains pensent qu'il y fut ordonné prêtre. Il y exerça jusqu'en 203. A ce moment-là une intense persécution éclata contre les chrétiens éclata sous l'empereur Septime Sévère et l’école d’Alexandrie était très visée. Clément abandonna Alexandrie pour se réfugier à Césarée de Cappadoce, où il mourut vers 215.

Pendant ses années à l’école d’Alexandrie, il s’était trouvé un disciple appelé : Origène qui lui succéda pour diriger l’école pendant ses années en cavale. Mais le disciple allait surpasser son maitre de telle façon qu’il l’effaça presque de l’histoire. Origène était un esprit si ardent et d'une érudition de loin plus étendue. Il devint un auteur plus prolifique. Malgré cela, Clément, son maitre, est resté l'un des pionniers du dialogue entre foi et raison dans la tradition chrétienne et y a laissé ses marques.

Ses œuvres

Clément d'Alexandrie a composé de nombreux ouvrages, dont trois des plus importants seulement qui nous ont été conservés : le Protreptique, le Pédagogue et les Stromates. Il est possible que Clément d’Alexandrie ait conçu cette trilogie comme représentant les étapes de la maturation spirituelle.

Le Protreptique : ce terme provient du grec et signifie : “ tourner vers”. C’est un plaidoyer de la foi chrétienne, visant à convertir les païens grecs cultivés. Il convient de rappeler que les païens étaient permis d’assister aux discours de l’école d’Alexandrie. Clément maitrise le jargon philosophique grec et s’en sert pour les pointer au Logos de Dieu, Christ. Clément dénonce les erreurs des mythes païens et cherche à accompagner l’interlocuteur dans une nouvelle orientation qui le mène au Dieu des chrétiens. Le Protreptique est donc une exhortation adressée aux gens qui commencent à explorer le chemin de la foi.

Son deuxième ouvrage est Le Pédagogue. Etymologiquement, ce mot signifie ’celui qui conduit les enfants.’ Dans les villes prospères comme Alexandrie ou Rome, c’était une réalité quotidienne de voir un esclave conduire les enfants chez le maitre d’école , l’accompagner et veiller sur lui dans la rue quand il y va ou sur le chemin de retour. C’était ca le rôle du Pédagogue. Clément essaie de convaincre que la philosophie grecque ne suffit pas pour donne le but à la vie, que seul Christ est Celui qui conduit les hommes a l’école de la vie.

Christ est le pédagogue par excellence. Le Verbe incarné, la Parole éducatrice annoncée par l’Écriture, fut elle-même révélée et incarnée. Clément montre que le Logos est venu éduquer les hommes : “Enfants, nous avons besoin du Pédagogue, et l’humanité entière a besoin de Jésus.” Et Clément continue à décrire le changement radical que la conversion opère. Il montre cette nouvelle naissance pour une vie façonnée sur l’exemple du Christ Logos, qui vient habiter dans le croyant.

Enfin, le troisième livre est Les Stromates. Appellation étrange ? Ça provient du grec pour signifier tapisseries. Et le même Jésus-Christ finalement est aussi Didascale, c'est-à-dire maître, qui propose les enseignements les plus profonds. Dans ce livre il y rassemble plusieurs thèmes divers et non systématiques pour aider ceux qui progressent dans la foi.

Le christianisme et la philosophie

Clément se situe dans le sillage de Justin de Rome, ouvert à l’égard d’une pensée grecque qu’il connaît parfaitement. Devenu chrétien, il est tout de même resté philosophe, avec un amour presque égal pour la littérature profane et pour la foi chrétienne en même temps. Clément d’Alexandrie interprétait la philosophie comme « un enseignement préparatoire à la foi chrétienne ». Clément est arrivé même au point de soutenir que Dieu aurait donné la philosophie aux Grecs comme un Testament qui leur soit propre. Pour lui, la tradition philosophique grecque, presque de pair avec la Loi pour les Hébreux, est un milieu de révélation ; les deux sont des ruisseaux qui finalement vont au Logos même. En tout cas, dans ses écrits Platon et Jésus, Athènes et Jérusalem se mélangent intimement.

Nous savons que Paul à l'Aréopage d'Athènes, où Clément allait naître, avait fait une première tentative de dialoguer avec la philosophie grecque ; et il avait échoué en grande partie, mais on lui avait dit « Nous t'écouterons une autre fois ». Maintenant, c’est comme si Clément reprenait ce dialogue. Un dialogue d’intégration de la philosophie grecque et la théologie chrétienne qui se poursuivra avec St Augustin au 4eme siècle, avec un faible pour Platon, comme Clément puis Thomas d’Aquin, avec un faible pour Aristote et tout le scolasticisme médiéval qui va en découler. C’est grâce à Clément que ce dialogue de la relation complémentaire entre la foi chrétienne et la raison a pu continuer.

Alexandrie contre Antioche

Alexandrie est devenu le premier berceau de l’histoire de l’herméneutique chrétienne. Au-delà d’une simple école catéchiste, Alexandrie bouillonnait d’idées poussées et d’une grande effervescence intellectuelle est apparu le premier courant d’herméneutique chrétienne que l’on pourrait qualifier « d’école » d’interprétation. Cette école d’Alexandrie se caractérisait par son interprétation allégorique du texte biblique. Le siècle qui a suivi Clément et Origène a connu des leaders comme Didyme l’Aveugle, Athanase ou les Cappadociens.

Un peu plus tard à Antioche, un autre courant d’interprétation, plus littérale dans son approche du texte biblique, vint faire contrepoids à la tradition herméneutique d’Alexandrie. L’école d’Antioche a connu son âge d’or entre 360-430. Le courant ne manque pas des représentants d’envergure comme Flavien, Diodore de Tarse et autres dont le plus connu fut Jean Chrysostome. Ainsi, dès les premiers siècles de l’Église, deux schémas herméneutiques s’affrontent, chacun d’eux représenté par une école différente avec une lecture différente. Aujourdui certains pensent que cette dichotomie est trop poussée, que les deux écoles avaient tellement en commun, bien que leurs schémas d’interprétation biblique contiennent bien entendu des différences notables.

L'école d’Alexandrie fut influencée lourdement par Origène qui développa davantage une exégèse allégorique. L’école d’Alexandrie a largement été critiquée pour son emploi exagéré de l’allégorie, parfois fondée sur la seule ingéniosité de l'interprète. Avec cette méthode, on pouvait soutenir et « prouver » n’importe quelle interprétation de la Bible. 

L’école d’Antioche a réagi aux abus de l'allégorisme, l'École d'Antioche s’appuie sur une analyse historico-grammaticale minutieuse : tout passage de la Bible a un sens littéral soit propre, soit figuré. Ils recherchaient le « sensus literralis » en étudiant les circonstances historiques et en examinant la grammaire du texte selon les lois de l’esprit humain.

En allégorisant, l’école d’Alexandrie était à la recherche du sens spirituel du passage. Origène développera plus tard trois manières d’interpréter l’Écriture : le sens littéral, le sens moral et le sens mystique/allégorique. Inutile de dire que le schéma herméneutique d’Alexandrie était influencé par le platonisme. Il y avait une tendance contemplative et mystique en cherchant un sens plus profond du texte, ils voulaient s'élever à la contemplation de Dieu.Mais l’école d’Antioche se focalisait sur la grammaire avec une approche plus littérale et appliquait la typologie biblique avec modération.

On peut dire que Antioche et Alexandrie représentent deux paradigmes herméneutiques distincts. Antioche s’intéressait, par une approche littérale, au message explicite délivré par le texte. Alexandrie tirait du texte son sens spirituel, en le replaçant dans l’ensemble du savoir théologique. Cet article deviendrait plus long si on y ajoutait les différences doctrinales entre ceux deux écoles surtout en ce qui concerne la nature de Christ. L’école d’Alexandrie mettait plus d’accent sur le fait Christ est consubstantiel avec le Père, insistant sur l’unité de Dieu alors que l’école d’Antioche insistait sur la séparation des personnes de la Trinite.

Un regard contextuel

Dès le début de cette série je me suis efforcé de porter un regard contextuel, appliquant le récit d’un Père de l’Église à notre contexte africain. C’est ce que je vais tenter de faire pour clôturer non seulement cet article mais aussi cette série.

Courant antiochien ou alexandrin, lequel suivre ?

Il n’est pas difficile de remarquer quelle école semble avoir influencé le christianisme occidental. Les écoles théologiques où la plupart des africains sont éduqués ont hérité l’exégèse historico littérale antiochienne. Mais certains des plus avisés ont déjà remarqué qu’en réagissant contre l’abus de la spiritualisation de la Bible, les occidentaux sont tombés dans l’excès contraire de l’approcher de façon trop intellectuelle. La Bible risque de devenir un écrit profane sans le souffle divin. Il faut avouer que Clément d’Alexandrie nous reprocherait aujourd’hui de nous attacher trop à la lettre et négliger l’Esprit. Cette remarque n’exclut pas le fait qu’ Origène et ses disciples ont parfois abusé du sens mystique/allégorique.

Les conceptions de Dieu en Afrique avant l’ère des missionnaires

Clément était convaincu que la philosophie grecque préparait conceptuellement les gens hellénisés à accepter l’Évangile ; cela suscite une question plus contextuelle pour nous africains. De quelle façon les catégories de pensées africaines et conceptions religieuses les préparait à l’Évangile avant que le premier missionnaire ne vienne.

Mais certains des plus avisés ont déjà remarqué qu’en réagissant contre l’abus de la spiritualisation de la Bible, les occidentaux sont tombés dans l’excès contraire de l’approcher de façon trop intellectuelle. La Bible risque de devenir un écrit profane sans le souffle divin

Il est clair que nos concepts africains à propos de Dieu et avant que le missionnaire ne vienne ne manquaient pas de similarités avec le Dieu de la Bible. Cela doit être attribué à la grâce commune qui se manifeste dans la révélation générale selon Rom 1 :18 « en effet, les perfections invisibles de Dieu, se voient comme à l’œil , depuis la création du monde, quand on considère dans ses ouvrages. Ils sont donc inexcusables ». On pourrait mentionner : La croyance en l’existence d’un Dieu suprême et transcendant Il a été établi par des experts comme O’Donavan qu’aucune société africaine fut athéiste. Il y avait une croyance fondamentale en la Déité. Il y avait également l’idée de la transcendance divine dans notre appellation de l’Imana. Les africains croyaient non seulement en certains traits de caractère divin mais aussi en son œuvre divine : la création, la préservation. Il y a toujours eu l’idée d’un Dieu créateur et protecteur du monde. C’est pourquoi ils pouvaient appeler leurs enfants Rugira, Rugena. Autres attributs divins comme la miséricorde, l’amour, la fidélité sont exprimés à travers les proverbes, chants, mythes et même des noms qu’ils donnaient à leurs enfants comme Hakizimana, Hategekimana, ou Nikiza.

Néanmoins des différences subsistent entre la conception biblique de Dieu et les conceptions africaines. Je crains que les gens comme Mbiti et autres propagateurs de ATR « African traditional religions » aient poussé trop loin ce bon côté des similarités entre le Dieu de la Bible et nos conceptions africaines de Dieu pour signifier qu’on n’avait pas besoin de l’Évangile, ou que Dieu aurait pu sauver les africains sans l’Évangile. Il convient de souligner ici deux différences notables.

Les africains ne connaissaient pas un Dieu personnel. Ils pouvaient lui adresser des prières selon leurs besoins mais il n’y avait aucune relation personnelle. Le Dieu suprême de la Bible n’est jamais devenu un Dieu personnel pour l’africain. Le sens de la sainteté de Dieu était presque inexistent. Dieu était craint pour les malheurs qu’il pouvait causer, et le péché était perçu comme une offense beaucoup plus contre la communauté, la famille, les valeurs du clan, les traditions des ancêtres qu’envers Dieu. La vision du péché de l’africain était très humaniste et ne s’est jamais élevée aux standards de la révérence de Dieu de la Bible.

Le fait que les occidentaux n’ont ni considéré et ni honoré le bon côté de notre héritage socio culturel et religieux de devrait pas nous amener à l’extrême d’idéaliser notre Histoire et dépasser les limites bibliques. Nyirongo apporte ici une sage remise en question en disant : “On ne peut pas nier que Dieu s’est révélé Lui-même aux générations africaines qui ont vécu avant l’avènement de l’Évangile. Ni même qu’il continue de parler à toutes ces tribus africaines qui n’ont pas encore écouté l’Évangile ...le problème n’est pas que Dieu n’aurait pas parlé clairement a l’africain mais ce que l’africain a fait de cette révélation. Au lieu de répondre positivement à cette révélation par la foi, il s’est tourné vers les idoles.(1)

Mbiti a tort quand il dit ici que Dieu avait une relation historique avec le people africain et leur histoire avait un sens théologique de telle façon que leur histoire avec Dieu fasse partie de l’histoire du Salut. N’est-il pas plutôt juste de dire que comme les romains auxquels Paul écrit, Dieu s’est révélé aux africains par la révélation générale mais qu’ils ont perverti cette connaissance et la remplacer avec toute sorte d’idolâtrie de telle façon qu’ils sont aussi coupables que les autres ?

Les africains sont inclus quand Paul dit « puisque ayant connu Dieu, ils ne l’ont point glorifié comme Dieu, et ne lui ont pas rendu grâces ; mais ils se sont égarées dans leurs pensées, et leur cœur sans intelligence a été plongée dans les ténèbres…ils ont échangé la gloire de Dieu incorruptible…Romains 1:21

****

(1) L.Nyirongo: The gods of Africa or the God of the Bible?

Autres livres recommendés pour cxe sujet

  • Mbiti: Introduction to African Religion
  • R.J Gehman: African Traditional religion in biblical perspective
  • B. Kato: Biblical Christianity in Africa
  • P. Bowers: African theology: Its history,dynamics, scope and future. African Journal of Evangelical Theology.
  • E.W Smith: African ideas of God: A symposium
  • author-prof

    NIKIZA Jean-Apôtre est un Pasteur qui exerce son ministère depuis la ville de Bujumbura. Il est marié à Arielle T. NIKIZA et ensemble, ils sont pionniers du Mouvement des Hédonistes Chrétiens, Sa Bannière depuis 2015. Ils sont aussi co-fondateurs de Little Flock Ministries. La spiritualité chrétienne et le Renouveau spirituel de l’Eglise restent les grandes marques de leur appel commun. Les moments de loisirs de NIKIZA J-A incluent les films, la musique,le Basketball et un bon sommeil.

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