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Emmanuel T. Sibomana

Un héros non chanté de l’Église du Burundi

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Découvrons l’homme derrière le fameux cantique, “Ubuntu bw’Imana butangaje”

02 Décembre 2025

Je me souviens d’un jour où je lisais le livre « Le Burundi, terre des héros non chantés » d’Herménégilde Niyonzima. J’y ai découvert qu’un grand nombre d’hommes et de femmes ont contribué à façonner le Burundi d’aujourd’hui, même s’ils sont restés méconnus. J’admets que ce livre peut être subjectif, car en politique, chacun a ses penchants, mais l’expression « héros non chantés » m’a profondément marqué. Je souhaite l’emprunter pour parler d’un héros oublié dans l’histoire de l’Église du Burundi, malgré son influence durable sur la compréhension de la grâce de Dieu.

Peut-être que vous vous demandez de qui il s’agit. Non, ce n’est ni Chris Ndikumana ni Appolinaire Habonimana, car bien que populaires, personellement, je trouve que leur théologie est lacunaire.  Ce héros, c’est le pasteur baptiste Emmanuel Terry Sibomana, auteur du célèbre cantique « Ubuntu bw’Imana butangaje » (cantique n° 105 du recueil de cantiques kirundi).

À la découverte d’un pasteur oublié

En 2022, alors que je me trouve dans la bibliothèque de mon école biblique, un camarade de classe m’envoie un message pour me demander si je connais un certain Emmanuel Terry Sibomana, pasteur de l’Église Baptiste. Ne disposant d’aucune information à son sujet, je décide de partager ce message dans plusieurs groupes WhatsApp réunissant des pasteurs et des chrétiens burundais. À ma grande surprise, personne ne semble connaître cet homme.

Grâce à mon ami Daniel Ngendakumana, gendre du pasteur Emmanuel Sibomana que je connaissais, je découvre que l’auteur du cantique « Ubuntu bw’Imana butangaje » n’est pas ce pasteur, mais le pasteur Emmanuel T. Sibomana. En pensant que le pasteur Emmanuel Sibomana est le compositeur du cantique, je n’étais pas très loin de la vérité : Emmanuel Sibomana est le gendre du pasteur Emmanuel T. Sibomana.

Daniel me transmet par la suite sa photo de passeport ainsi que quelques informations biographiques, ce qui me permet d’établir, pour la première fois, une source fiable. Je donne la réponse à mon ami et camarade de classe.

Trois ans plus tard, plusieurs personnes manifestent un vif intérêt pour le pasteur Emmanuel T. Sibomana. Je décide alors de reprendre mes recherches afin d’en apprendre davantage sur la vie de ce serviteur de Dieu encore méconnu.

Cette démarche me conduit à rencontrer Madame Loy Bukuru, fille du pasteur Emmanuel T. Sibomana et épouse du pasteur Emmanuel Sibomana, qui accepte de me livrer un précieux témoignage sur la vie et le ministère de son père, un homme aujourd’hui largement oublié, mais dont l’influence dépasse les frontières du Burundi et le cadre de sa génération.

Le chemin n’est pas aisé : Madame Loy consulte ses sœurs aînées, établies au Canada, afin de vérifier et de compléter certains éléments biographiques et historiques. Par la grâce de Dieu, je parviens finalement à recueillir des informations fiables qui permettent de retracer plus clairement le parcours de ce pasteur dont le souvenir mérite d’être ravivé.

Vie et ministère du pasteur Emmanuel T. Sibomana

D’après les témoignages de sa fille Loy Bukuru, Emmanuel T. Sibomana est né en 1917 à Mupfumya, non loin de la station missionnaire de Musema, contrairement à ce qu’indiquent certaines sources en ligne.  Bien que ses origines religieuses demeurent incertaines, il est probable que sa famille ait été de tradition catholique, comme la majorité des familles de la région à cette époque.

Dès sa jeunesse, il a fait preuve d’un courage exceptionnel : alors que beaucoup craignaient les missionnaires européens, les soupçonnant de « manger les gens », il a accepté de travailler à leur service comme domestique. Ce choix était déterminant : c’est grâce au contact des missionnaires qu’il est devenu croyant et a reçu les bases de son éducation.

Sibomana n’a pas bénéficié d’une éducation formelle, mais il a appris à lire, à écrire, puis à servir Dieu. Son intelligence vive et sa piété le distinguèrent rapidement, au point d’être formé au ministère pastoral par les missionnaires baptistes. Bien qu’il n’ait pas de formation formelle, il parlait couramment le français et l’anglais. Il a ensuite participé à plusieurs conférences et formations à l’étranger : trois mois au Danemark, une année en Angleterre, ainsi qu’à des missions en Zambie, et a pris part aux croisades de Billy Graham.

Loy raconte avec humour que, lorsque l’occasion se présentait à plusieurs pasteurs de voyager en Europe, beaucoup refusaient par peur d’être mangés par les Blancs, mais que son père répondait en plaisantant : « S’ils me mangent, moi aussi je vais les manger ! »

Sibomana était un homme généreux et aimé par la population. Loy se souvient des Batwa qui venaient chanter devant sa maison quand il venait de voyage, disant : « Pasitori w’umuzungu yagiye mw’ivatire none agarutse mu ndege, iyo bamuha menshi yari kutwongera, cinya ikirato » (Le pasteur blanc est parti en voiture et est revenu en avion ; s’ils lui avaient donné davantage, il nous aurait aussi comblés davantage, dancons !) » Cela montre combien il partageait avec les autres ce qu’il recevait.

Marié et père de onze enfants, il a pu les scolariser tous, mais a tragiquement perdu cinq fils lors de la crise de 1972. Sibomana était aussi un pasteur zélé et a exercé un ministère florissant en tant que planteur d’Églises dans la province de Bubanza (colline Matabo, zone Muyebe). À une époque marquée par la peur des esprits et du monde démoniaque, il manifestait une foi courageuse : il traversait les lieux considérés comme hantés sans peur en chantant des cantiques pour temoigner la puissance protectrice du Dieu vivant comme le temoigne Loy.

Sibomana a également servi comme secrétaire général de l’Alliance chrétienne du Burundi (future CNEB) et comme représentant légal suppléant de l’Église baptiste. Il a beaucoup contribué à l’éducation en rédigeant un recueil de proverbes kirundi (Igibato c’imigani y’ikirundi yegeranyijwe na Sibomana) utilisé dans les écoles primaires de l’époque, ainsi qu’un manuel de grammaire du kirundi (Imvugo mpinyanyuro). Grâce à sa maîtrise des langues, il participa à la traduction de cantiques et de la Bible en kirundi, recevant pour cela une Bible à couverture dorée en signe de reconnaissance, se rappelle Loyi, alors que les autres Bibles avaient des couvertures rouges.

Le pasteur Emmanuel Terry Sibomana s’est endormi dans le Seigneur en juin 1985, à Kibimba, à l’âge de 68 ans, à la suite d’une maladie, après une vie entièrement consacrée à Dieu. Comme beaucoup de pasteurs africains en retraite, il a terminé ses jours dans une pauvreté silencieuse, ayant perdu ses fils qui pouvaient lui apporter une aide et ne bénéficiant d’aucun soutien matériel. Il est allé chez sa fille, Loy Bukuru, à Kibimba, qui a pris soin de lui jusqu’à sa mort.

Aujourd’hui encore, il demeure l’un de ces serviteurs fidèles oubliés de l’histoire de l’Église du Burundi. Sa fille déplore que même au sein de son église,  l’Église Baptiste du Burundi, peu de personnes se souviennent de lui. Les rares survivants de sa génération ne le reconnaissent souvent qu’à travers la présentation de ses enfants, lorsqu’ils se présentent. Loy exprime le souhait qu’un jour des chercheurs et historiens de l’Église se consacrent à l’écriture de l’histoire du christianisme burundais, afin que les pionniers comme son père, qui ont tant contribué à l’avancement du Royaume de Dieu, ne tombent pas dans l’oubli.

Le contenu théologique du cantique.

Selon Loy Bukuru, le cantique Ubuntu bw’Imana butangaje a été entièrement composé par le pasteur Sibomana, tant pour les paroles que pour la musique, contrairement à certaines sources en ligne qui attribuent la mélodie aux missionnaires. Ce cantique a ensuite été traduit en anglais par la missionnaire Rosemary Guillebaud sous le titre O How the Grace of God Amazes Me, et publié dans le recueil de cantiques kirundi. Ce recueil de cantiques en kirundi a été rédigé par les missionnaires de l’Alliance Chrétienne du Burundi. De leur côté, les pentecôtistes ont apporté leur propre recueil de cantiques, traduit en kiswahili au Congo, où leur mission avait commencé. Ce recueil est aujourd’hui connu sous le nom de Nyimbo za wokovu. Les autres missionnaires ont rassemblé les grands cantiques qui avaient marqué les moments forts du réveil de l’Église en Europe et aux États-Unis, leurs pays d’origine. La première impression du recueil kirundi a été réalisée à Musema en 1946, avec un seul cantique dont l’auteur était burundais, Emmanuel T. Sibomana. Par la suite, même les pentecôtistes ont adopté ce recueil, traduit par d’autres missionnaires protestants de l’Alliance.

Le cantique Ubuntu bw’Imana butangaje a été inclus dans le recueil en raison de sa richesse théologique et de son message profond sur la grâce. Il exprime avec force la théologie de la grâce, une notion souvent difficile à saisir pour beaucoup. Ce cantique contient les éléments fondamentaux de la théologie réformée (calviniste) : le salut y est présenté comme une œuvre entièrement souveraine de Dieu. Le pasteur Sibomana y reconnaît sa condition de pécheur impuissant et célèbre une grâce qui libère, choisit, justifie et transforme, non en raison du mérite humain, mais uniquement par la miséricorde divine manifestée en Jésus-Christ. Le cantique reflète les piliers de la pensée calviniste : la dépravation totale, l’élection inconditionnelle, la justification par la foi seule, et la grâce irrésistible qui régénère le cœur. Sibomana montre que la compréhension de la théologie réformée n’est pas stérile, mais qu’elle transforme et conduit à la louange, résumée dans la devise suprême de la théologie évangélique : « Soli Deo Gloria ». À Dieu seul la gloire. Ce cantique, composé de sept strophes, se distingue par sa profondeur, en contraste avec les chants courts et souvent pauvres en contenu théologique que l’on rencontre aujourd’hui.

L’influence du cantique « Ubuntu bw’Imana butangaje »

Le cantique Ubuntu bw'Imana, connu en anglais comme « O How the Grace of God Amazes Me, » a traversé les frontières pour toucher beaucoup de gens dans le monde à cause de son contenu théologique, y compris les théologiens du monde entier. Des figures comme Sinclair Ferguson, dans son livre « By Grace Alone », y ont vu une révélation de la profondeur de la grâce divine. Ferguson confesses :

« Le cantique d’Emmanuel T. Sibomana m’a profondément inspiré à écrire le livre « Grace Alone ». Ce chant saisit avec justesse les riches contours et le caractère multiforme de la grâce de Dieu.Sa mélodie, « Grace of God », à la fois simple et facilement mémorisable, a souvent fait remonter à mon esprit, sans que je le veuille, les paroles mêmes du cantique.La méditation des thèmes développés dans ses strophes m’a conduit, peu à peu, à approfondir ma réflexion théologique et spirituelle sur la grâce, jusqu’à entreprendre la rédaction du livre. »[1]

De même, Conrad Mbewe, dans son ouvrage Le dessein de Dieu pour l’Église, cite ce cantique pour encourager les Africains à composer des chants porteurs de substance théologique[2]. Ce chant figure également dans plusieurs recueils anglophones et sur des sites d’institutions théologiques renommées, tels que Ligonier Ministries ou Truth for Life d’Alistair Begg. Il ne faut pas oublier les nombreuses personnes qui ont été touchées et transformées par le message profond de ce cantique. Son impact dépasse les frontières et les générations, témoignant de la puissance de la grâce de Dieu.

Conclusion

L’histoire du pasteur Emmanuel T. Sibomana dépasse le simple cadre biographique : elle illustre de manière frappante la souveraineté de Dieu dans l’élection et l’appel. Beaucoup se sont interrogés sur la manière dont un pasteur burundais des années 1940 pouvait saisir les subtilités de la doctrine complexe de la grâce divine et de l’élection, et les chanter de manière systématique. La réponse réside dans la grâce de Dieu elle-même, manifestée et expérimentée par le cantique qu’il a composé.

Ce cantique témoigne également de la présence de la théologie réformée au Burundi dès l’arrivée des missionnaires. Si certains leur reprochent de ne pas avoir suffisamment enseigné la saine doctrine, l’exemple de Sibomana montre que même des individus dépourvus d’éducation formelle peuvent saisir et vivre les doctrines profondes et complexes de la foi chrétienne. Sa vie et son œuvre démontrent que la compréhension théologique ne dépend pas exclusivement d’un parcours académique, mais aussi de l’expérience de la grâce et de la lecture simple de la Bible.

Redécouvrir ce « héros non chanté » du Burundi, c’est aussi affirmer que les Africains sont capables de composer des chants et des œuvres profondément enracinés dans l’Écriture qui contribuent à l’édification de l’Église universelle. Le cantique d’Emmanuel T. Sibomana illustre aussi comment la théologie peut se traduire par une expression artistique : elle ne se limite pas aux livres et à la théorie intellectuelle, mais se chante, se vit et se transmet, touchant à la fois le cœur et l’esprit des croyants.

Il est important de rappeler qu’Emmanuel T. Sibomana n’a pas composé ce cantique pour rechercher la popularité, les éloges ou la reconnaissance humaine (les views et les likes).  Il l’a écrit comme une pure expression de louange et de gratitude envers la grâce de Dieu. Nous croyons qu’un jour, dans l’Église triomphante des rachetés, nous le verrons parmi ceux qui chanteront éternellement la grâce divine, cette même grâce qui sauve les pécheurs, les garde et les envoie œuvrer pour la gloire de Dieu. Si certains de ces serviteurs demeurent oubliés ou méconnus ici-bas, ils sont pourtant connus, aimés et honorés de Dieu lui-même.

****

[1] Sinclair B. Ferguson, By Grace Alone: How the Grace of God Amazes Me (Lake Mary, FL: Reformation Trust Publishing, 2010), xiii.

[2] Conrad Mbewe, God’s Design for the Church: A Guide for African Pastors and Ministry Leaders (Wheaton, IL: Crossway, 2023), 134.

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Janvier Ndikubakuru est un mari dévoué au Dr Benigne NIYONGERE et un père fier de trois merveilleux fils.
Avec un arrière plan d'implication active dans IFES Burundi ainsi que Langham preaching, sa passion pour la prédication par exposition n'a fait que grandir. Son passé dans le ministère pastoral au sein de l'Eglise Evangélique ses Amis n'a fait qu'attiser son appel pour le pastorat.

Il est titulaire d’un Master en Études Bibliques (MDiv) obtenu à Negest et poursuit actuellement un Doctorat en Ministère (DMin) dans le même établissement, à Nairobi. Il exerce son ministère pastoral dans une Église Baptiste Réformée à Kericho, au sud du Kenya. Il a un intérêt accentué pour la lecture des livres.

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