Cet article n’a pas pour objet l’apologie de nos positions doctrinales minoritaires au sein du camp réformé. Nous espérons néanmoins d’un côté, aider ceux qui sont impliqués dans nos ministères à comprendre qu’il n’est pas étrange que l’on soit étrangement réformé. Et on va terminer par un appel à un irénisme non compromettant.

Étrangement réformés, et nous assumons…

La théologie réformée est robuste bibliquement et je serai toujours reconnaissant d’y avoir été exposé. Mais tout calviniste n’est pas nécessairement robuste. Je connais des chrétiens arminiens plus solides et matures que plusieurs calvinistes. Avant de me tourner vers la théologie réformée j’étais moi-même un Wesleyen classique et un piétiste solide.

Quand je suis devenu réformé, plus d’un ont été choqués de voir que je ne remplis pas toutes les cases d’un bon boyscout réformé. J’ai résisté à toute tentation de me légitimer et cela ne se passe jamais sans coût! Mais progressivement j’ai aussi eu le mal de réaliser que le mouvement réformé au Burundi est en train de faire des débuts maladroits et immatures. Je me suis néanmoins concentré à poursuivre mon appel et de laisser Dieu façonner ma vocation. Voici dix aspects doctrinaux et ministériels qui font que certains « gardiens » de l’orthodoxie disent que nous ne méritons pas la badge.

LF Ministries est axé sur la théologie du Royaume.

Au lieu de nous perdre dans les débats des théologies des alliances, nous nous focalisons plutôt sur le concept du Royaume de Dieu qui est plus englobant et plus unificateur que le thème des alliances. La raison d’être de LF Ministries est formulée de façon qui ressort les trois aspects du Royaume de Dieu, passé, présent et future tel qu’évoqués et développés souvent dans les écrits de Georges Eldon Ladd. Ceci ne veut pas dire que nous ne souscrivons pas à une quelconque théologie d’alliance. Néanmoins elle n’est ni presbytérienne ni ouvertement baptiste mais un covenantalisme progressif.

Nous croyons que les différentes alliances révélées dans les Écritures sont interdépendantes et se construisent les unes sur les autres, que le peuple de Dieu tout au long de l’histoire du salut est uni et qu’il partage également ses promesses eschatologiques. Nous croyons au caractère unique de la nouvelle alliance et que la pluralité d’alliances révèle progressivement le plan rédempteur unique de notre Dieu trinitaire pour son peuple unique, qui atteint son accomplissement et son terme dans le Christ et la nouvelle alliance.

LF Ministries est un ministère réformé charismatique

Le principe de Sola Scriptura, proprement compris, ne se tient pas en contradiction nécessaire avec la foi en un Dieu qui désire encore donner des dons y compris ceux qui sont surnaturels tels que la prophétie, la guérison, la parler en langues pour magnifier Son Fils et Son œuvre. Dans le livre bien connu Showing the Spirit le professeur D.A Carson définit ce don comme : « La réception et la transmission ultérieure de la révélation spontanée, d’origine divine. »

Puis il donne ensuite six raisons pour lesquelles la prophétie du Nouveau Testament doit être distinguée de la prophétie de l’Ancien Testament, en particulier en ce qui concerne le statut d’autorité.

(1) Bien que la prophétie moderne vienne de Dieu, elle ne peut pas être une citation directe de Dieu. C’est-à-dire que les prophéties ne sont pas précédées de « ainsi parle le Seigneur » dans le Nouveau Testament.

(2) Les héritiers légitimes des prophètes de l’Ancien Testament étaient les apôtres, et non les prophètes eux-mêmes. Dans l’Ancien Testament, une fois qu’un prophète était approuvé, les gens étaient tenus de lui obéir. Mais dans le Nouveau Testament, tout le contenu des prophètes doit être soigneusement pesé (14 :29).

(3) Les prophètes n’ont pas pris la direction de l’Église après la disparition des apôtres.

(4) Les prophètes du Nouveau Testament ont un profil très bas.

(5) Certaines prophéties du Nouveau Testament ont moins d’autorité que les prophéties de l’Ancien Testament, comme Actes 21 :4-11.

(6) La prophétie est apprivoisée dans le Nouveau Testament, c'est pourquoi Paul peut encourager les femmes à prier et à prophétiser en public (1 Cor. 11) mais leur interdire d'enseigner (1 Tim. 2) et d'évaluer le contenu (1 Cor. 14 :33-36).

LF Ministries, est pionnier de l’hédonisme chrétien

L’hédonisme chrétien est une philosophie spirituelle qui n’est pas toujours vue de bon œil par des réformés fondamentalistes. Alors que le mouvement réformé est réputé pour son emphase exagérée sur l’intellect, nous croyons que les émotions, sentiments, affections du cœur ont une place importante dans la spiritualité chrétienne et que la mesure de la spiritualité chrétienne ne devrait pas être la connaissance cérébrale mais la façon dont nos affections les plus profondes sont ordonnées, si elles sont vraiment tournées vers Dieu.

Cela, personne ne l’a criée aussi fort et si éloquemment que John Piper, lui-même écho de Jonathan Edwards et C.S. Lewis. Avant Piper, Jonathan Edwards a tissé ensemble la gloire de Dieu et notre plaisir en une seule quête. Alors que les réformés ont tendance à parler de la gloire de Dieu de façon qui soit détachée de la jouissance spirituelle des saints, Jonathan Edwards et Piper tissent ensemble notre joie et la gloire de Dieu. Cela a conduit Edwards à dire de sa propre prédication et des grands objectifs de son propre ministère:

Je devrais me considérer comme étant dans mon devoir d’élever les affections de mes auditeurs aussi haut que possible, à condition qu’ils ne soient affectés que par la vérité, et par des affections qui ne soient pas désagréables à la nature de ce qui les affecte.

L’affection brûlante pour Dieu, enflammée par une vérité biblique claire et convaincante, était le but d’Edwards dans son ministère, et a caractérisé celui de John Piper. LF Ministries poursuit profondeur dans la doctrine biblique et l’expérience spirituelle en même temps. Nous voulons la lumière de la vérité et la chaleur de la présence de Dieu. Nous aimons la logique de la pensée et le feu de la puissance.

Little Flock Ministries poursuit une spiritualité intégrative.

Tout en préservant un fondement biblique et réformé, une forte spiritualité doit tirer meilleur profit des autres traditions historiques. Bien que souvent critiqué par les réformés, nous croyons que le nouveau mouvement de la formation spirituelle souvent représenté par Dallas Willard et Richard Foster apporte une grande contribution. Dieu nous a historiquement benis des gens exceptionnels comme Jean de la Croix, Bernard de Clairvaux, Therese d’Avila, Blaise Pascal, Fénelon, Mme Guyon, Comte Zinzendorf, Spener, John Fletcher, John  Wesley, A W Tozer, Thomas d’Aquin, Flannery O’connor, George Fox, Brother Lawrence, AB Simpson, Gregoire de Nyssa, John Wimber, Isaac Ambrose etc… Comment s’enfermer dans un intellectualisme institutionnel alors que les témoignages de ces précieuses vies peuvent révolutionner notre vie spirituelle?

LF Ministries croit en un usage soft du principe régulateur.

Nous croyons que Dieu réglemente notre culte et prévoit que le culte soit ordonné par Dieu de la Bible. Tout ce que nous faisons dans le culte doit être divinement justifié. Et puisque l’Écriture est la Parole suffisante de Dieu, tout ce que nous faisons dans l’adoration doit être « prescrit dans les Saintes Écritures ». Le culte doit être ordonné selon la sola scriptura. Le problème est qu’à un moment donné, le désir d'adorer le Seigneur comme il le commande peut se transformer en une sorte de légalisme.

Mais il est triste de constater que l’organisation de nos cultes réformés, suit rigidement et aveuglément le principe régulateur de Calvin sans discerner quand son application devrait être nuancée. Nos cultes reflètent une application du principe régulateur qui ne reconnaît pas que « la bible laisse un bon nombre de choses à notre discrétion et par conséquent permet une flexibilité considérable » ce qui conduit plusieurs réformés à négliger, et minimiser une grande part de la liberté que la Bible permet dans l’adoration. Je suis convaincu qu’il existe une certaine vérité dans le principe normatif de Luther, en tout cas assez pour équilibrer les cultes réformés.

LF Ministries poursuit fidélité et productivité en même temps.

Les églises réformées insistent sur la fidélité doctrinale tout en ignorant ou méprisant les règles de contextualisation en vue de la productivité ministérielle. Il est pathétique de voir une petite communauté réformée burundaise qui se bat pour ressembler à une communauté réformée caucasienne, Comment allons servir et gagner notre communauté ou alors édifier d’autres églises environnantes si on perd tout sens de pertinence contextuelle qui n’exclut pas fidélité biblique. Tim Keller aimait dire que contextualiser l’Évangile signifie « entrer en résonance avec la culture qui vous entoure tout en la défiant ». Ces deux choses – résonner et défier – comptent. Il ajoute:

« Cela signifie contrarier les idoles d’une société tout en faisant preuve de respect envers ses peuples et nombre de ses espoirs et aspirations. Cela signifie exprimer l’Évangile d’une manière qui soit non seulement compréhensible mais aussi convaincante. »

Ceux qui osent relever le défi sont souvent taxés d’émergents, d’appartenir au mouvement de la croissance de l’Église.

LF Ministries est missionnaire.

Je crois que l’Eglise du Burundi n’est pas obligée de résoudre d’abord tous ses problèmes y compris ceux liés à l’intégrité de l’Évangile ou aux finances avant de s’engager dans les missions. Je suis certain que nous désobéissons quand nous vivons une vie chrétienne qui ne maintient pas en vue l’œuvre de la grande commission. Au Burundi, les petits groupements réformés manquent cruellement une conscience missionnaire. Au nom de la passion de la vérité et la détermination d’éradiquer les faux enseignements, la plupart finissent par juste dupliquer un quelconque ministère d’enseignement de leur théologien préféré au lieu de se joindre à l’œuvre de Dieu dans les nations. Cela ne signifie pas broncher dans les efforts de solidifier un mouvement de l’Evangile dans le contexte.

Honnêtement LF Ministries cherche encore sa place. A travers Ngwino nous nous redéfinissons et sommes parfois réticents d’adopter les approches populaires aux missions. Par exemple, depuis Lausanne 1974 avec, l’approche de Ralph Winter qui définit les non atteints en termes ethniques, UPG, a dominé la façon dont les efforts missionnaires sont déployés. Mais nous pensons que cela a engendré au moins trois extrêmes qui doivent être corrigés :

Certains pays dits chrétiens sont de vrais champs de mission si on considère l’état déplorable des églises. Mais l’approche de Ralph Winter fera abstraction de ces Etats chrétiens parce qu’il n’y pas un peuple ethnique nouveau à atteindre. Qui a décidé qu’une fois que 2 pour cent d’un groupe de personnes sont chrétiens, ce groupe est « atteint » ? La ligne de démarcation des 2 pour cent est-elle dérivée de la Bible? Ou c’est juste une stratégie humaine ?

Nous avons besoin d’équilibrer l’approche de Ralph Winter UPG avec d’autres approches. Jésus ordonne à ses disciples d'aller faire des disciples de toutes les nations. Ce commandement nécessite de se concentrer à la fois sur les peuples et sur les lieux. Les églises et les organisations missionnaires devraient identifier l'état de l'église dans un lieu géographique donné et en même temps identifier des groupes de personnes distincts

LF Ministries est pre-millenariste et post-tribulationiste.

Alors que la tradition réformée est généralement saturée d’a-millénarisme, nous ne le sommes pas. Nous souscrivons à un premillénarisme historique. MacArthur avait raison en disant que:

Les réformateurs avaient raison sur la plupart des questions. Mais ils n’ont jamais abordé l’eschatologie ; ils n’ont jamais eu le temps d’appliquer leurs formidables compétences.

Nous croyons que Christ reviendra après que l’Eglise aura traversé la grande tribulation et avant qu’il ne déverse sa colère sur la terre. Il régnera avec les saints dans un royaume intermédiaire d’un millénaire et pendant cette période beaucoup de juifs se tourneront vers Christ et des nations adoreront le Seigneur.

LF Ministries est complémentarien léger

Nous croyons qu’une femme devrait s’épanouir dans le ministère y compris celui de la Parole, qu’elle peut enseigner un auditoire mixte et qu’elle peut faire partie du leadership pastoral sans assumer le leadership principal s’il y a un autre mâle qui peut le faire. Nous croyons que Dieu suscite encore de façon extraordinaire des femmes dans des moments extraordinaires pour accomplir des choses extraordinaires. Nous croyons que l’homme possède une certaine priorité dans le leadership et non l’exclusivité.

LF Ministries soutient et promeut les “House Churches”.

Il y a quelques années Francis Chan a choqué le monde réformé en abandonnant sa méga Church pour commencer un réseau des petites églises de maison. Il a tiré une sonnette d’alarme contre le format conventionnel des églises réformées qui élève le pasteur expositeur au-dessus des autres dons, transforme l’église en une salle de classe et produit une génération des chrétiens intellectuels mais improductifs dans d’autres aspects de la vie chrétienne. Nous pensons qu’un format simple des églises de maison est ce qui ressemble de plus près à l’église primitive.

Étrangement réformé, …et pas seul…

Mes lecteurs seront peut-être surpris d’apprendre que ceux qu’ils considèrent comme des champions contemporains de la foi réformée sont considérés par d’autres groupes ultra conservateurs comme « pas assez réformés ». Nous ne citerons que quelques noms des plus connus:

“Quoiqu'incluse dans la ruine de la chute, elle est l'objet de la compassion et de la grâce de Dieu.  C'est par une femme, la Vierge Marie, que le Seigneur Jésus-Christ a fait son entrée dans notre race. Les femmes sont parmi les premières à répondre à son ministère et les premières à témoigner de sa résurrection. Les femmes, en plus grand nombre que les hommes, ont répondu à l'invitation de l'évangile et au mandat de la grande commission. Dans l'Apocalypse, le livre qui est le point culminant des Écritures, conclut que l’Eglise en tant que corps de tout le peuple racheté de Dieu est représenté par une femme, l'épouse de Christ.”

J'affirme que vous pouvez être un croyant, que vous pouvez avoir le Saint-Esprit habitant en vous, sans toutefois être baptisé du Saint-Esprit. . .. Le baptême du Saint-Esprit est quelque chose qui est fait par le Seigneur Jésus-Christ et non par le Saint-Esprit. . .. Notre baptême dans le corps de Christ est l’œuvre de l’Esprit [c’est le point de 1 Corinthiens 12 :13], tout comme la régénération est son œuvre, mais le baptême du Saint-Esprit est quelque chose de complètement différent ; c’est le Christ qui nous baptise du Saint-Esprit. Et je suggère que c’est quelque chose qui est donc évidemment distinct du fait de devenir chrétien, d’être régénéré, d’avoir le Saint-Esprit habitant en vous. « Joy unspeakable p.21-22 »

« Le baptême du Saint-Esprit est toujours quelque chose de clair et indubitable, quelque chose qui peut être reconnu par la personne à qui cela arrive et par ceux qui la regardent. . .. Aucun homme ne peut vous dire le moment où il a été régénéré. Tout le monde est d’accord sur ce point : la régénération n’est pas expérimentale. « Joy unspeable, p. 52 »

Il a vu une faille dans la théologie du Saint Esprit des réformés que peu de gens parviennent à voir. Il disait:

Nous déplorons qu'en identifiant le baptême du Saint-Esprit avec la régénération, le tout soit rendu non expérimental et inconscient. Ce n’est pas ainsi que cela a été vécu dans les livres des Actes. 19 Il s’exprima donc avec force sur ce point de vue :

Ces gens qui disent que [le baptême du Saint-Esprit] arrive à tout le monde lors de la régénération me semblent non seulement nier le Nouveau Testament, mais aussi éteindre définitivement l'Esprit. « Joy Unspeakable,141 »

QUI SONT RÉELLEMENT RÉFORMÉS?

Mon objectif en donnant des noms n’est pas celui de légitimer mes positions car je crois en l’autorité suprême de la Bible et si tel était mon objectif je pourrais utiliser la Bible seule pour expliquer chacune de ces positions. Néanmoins je voulais attirer l’attention de mes lecteurs sur le fait que peu importe votre degré de «réformé» il y aura toujours un autre groupe plus fondamentaliste que toi. Mais c’est surtout pour rassurer ceux qui sont impliqués dans LF que nos positions doctrinales ont aussi des précédents historiques, et ont été professées par de des gens qui prenaient la Bible au sérieux et qui n’ont pas été intimidés ou honteux d’être considérés comme étrangement réformés.

Mais la question reste. Au-delà des divergences doctrines importantes mais de second degré, que ce qui définit un chrétien réformé à la base: je mentionnerai rapidement trois marques:

Quelqu’un de plus sage a dit ou plutôt demandé :

Nous devrions être reconnaissants à Dieu pour les solides dons intellectuels de la tradition réformée. Mais nous ne pouvons pas rester aveugles à la tentation bien réelle d’aimer les dons plus que celui qui les donne. Avons-nous aimé notre théologie et nos confessions réformées plus que le Dieu qu’elles désignent ? Sommes-nous si arrogants intellectuellement que nous ne parvenons pas à apprendre des chrétiens « non réformés » ? Avons-nous tellement idolâtré notre système théologique réformé au point que nous ne pouvons même pas le remettre en question

Comment vivre avec ceux qui diffèrent de nous.

Même au 16eme siècle, le mouvement n’était complètement uniforme. Selon que l’on soit luthérien, calviniste, zwinglien, anabaptiste il y avait des différences qui ne manquaient pas de créer des tensions. Mais à la base ce réveil biblique avait un trait commun : un combat pour le retour à un christianisme biblique. Nous devons nous traiter mutuellement avec respect. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas de place pour des débats ou même confrontations constructives. Roger Nicole était un rare érudit mais aussi un rare homme de Dieu très pacifique. Il a ecrit un assai Polemic Theology, or How to Deal with Those Who Differ from Us

Nicole pose trois questions principales auxquelles il faut répondre, dans le bon ordre.

P.S Un diagnostic de l’orgueil doctrinal ( le reste provient du site Reformatio21)

Deux derniers mots de prudence