Du village de Matana à Rome

Ntahoturi Bernard est né dans un petit village de Matana en 1948, dans le Sud du pays. Il a grandi dans une famille pauvre d’agriculteurs mais il put faire des études secondaires. Ntahoturi eut l’opportunité de partir en Ouganda en 1968 pour étudier la théologie à Mukono Theological College, jusqu’ en 1972. Il sera ordonné prêtre l’année suivante en 1973.  Puis il va continuer sa formation théologique en Angleterre dans des prestigieuses institutions de Ridley Hall et John’s college affiliés à l’université de Cambridge en 1976. Ensuite, il étudiera la diplomatie à Lincoln College d’Oxford en 1982, une concentration académique qui jouera un important rôle dans son parcours.

Quand le président Bagaza prit le pouvoir il le nomma chef de cabinet entre 1979 jusqu’en 1986.  Après le renversement de Bagaza en 1987 par Buyoya, il fut immédiatement  emprisonné pendant quatre ans.

De retour il devint en 1992, secrétaire provincial de l'Église anglicane du Burundi jusqu'en 1997, année où il fut consacré évêque du diocèse de Matana. Il deviendra archevêque de la Province de l'Église anglicane du Burundi en 2005.

Notons qu’il participa pendant les négociations d’Arusha où il a représenté les églises protestantes du Burundi lors des négociations de paix et de réconciliation en Tanzanie. Après les Accord d’Arusha, il fut nommé vice-président de la Commission Vérité et Réconciliation du Burundi en 2005.

Son rôle dans les grands lacs et en Afrique fut énorme, du moins sur le plan ecclésiastique. Il devint président du Conseil des provinces anglicanes d’Afrique de 2011 à 2016 tandis que depuis 1998 il était membre du Comité central du Conseil œcuménique des Églises.

En 2017, L'Archevêque de Canterbury Justin Welby et les Gouverneurs du Centre Anglican de Rome annoncèrent la nomination de Mgr Bernard Ntahoturi, comme représentant de l'Archevêque de Canterbury auprès du Saint-Siège et directeur du Centre anglican à  Rome. Il devint le premier Africain à occuper ce poste.

L’Archevêque NTAHOTURI et la question épineuse de l’homosexualité

Les années du ministère de Ntahoturi ont coïncidé avec la période du positionnement progressif et officiel de l’Eglise anglicane sur la question du mariage entre les gens du même sexe. Cela a plongé l’Eglise anglicane dans des eaux tumultueuses. Il a servi pendant que Welby, ancien dirigeant du secteur pétrolier devint prêtre,  avant de gravir rapidement les échelons pour devenir l’Archevêque de Canterbury.  Ce dernier, médiateur habile, s'est efforcé d'unifier la Communion anglicane, déchirée par de profondes divergences de vues sur des questions telles que les droits des homosexuels et la place des femmes dans l'Église. Il avait besoin des aptitudes diplomatiques de Ntahoturi.

Néanmoins aux yeux des conservateurs évangéliques, Monseigneur Ntahoturi n’avait pas la réputation de naviguer  la barque dans la bonne direction. Dans le reste du développement de ce point je vais utiliser des mots relatifs aux structures de l’Eglise anglicane auxquelles mes lecteurs ne sont pas familiers. Je vais alors fournir des notes en bas de page pour expliquer un peu les termes.

L’Eglise anglicane s’est progressivement éloignée de la position traditionnelle et conservatrice sur l’homosexualité. D’abord certaines provinces[1], comme l’Église épiscopale aux États-Unis et certaines parties de l’Église anglicane du Canada, ont adopté le mariage homosexuel et les bénédictions un peu plus tôt. Le reste du monde évangélique fut choqué quand l’Eglise épiscopale des Etats Unis a accepté comme évêque Gene Robinson, ouvertement homosexuel, en 2003. Quand Archevêque Ntahoturi accepta de participer à une réunion à New York en 2014, visant à nouer des amitiés et des partenariats avec l’Eglise épiscopale, considéré comme apostate par beaucoup, ll fut vivement critiqué par GAFCON [2] et fut même demandé de démissionner de son poste de président du Conseil des provinces anglicanes d'Afrique (CAPA) s’il ne se repentait pas.

Finalement en Novembre 2023, le synode général de l’Eglise anglicane,  a voté pour la bénédiction des mariages homosexuels par les prêtres. Au sein de la Communion anglicane, de nombreux membres, notamment en Afrique, en Asie et en Amérique latine, ont une vision conservatrice, insistant sur l’enseignement biblique selon lequel le mariage est l’union d’un homme et d’une femme et prônant le célibat pour ceux qui ne sont pas engagés dans une telle union.

Ces pays font partie de la Global South Fellowship of Anglican Churches (GSFA) qui avait vite publié une déclaration annonçant que cette action schismatique et non biblique qui signifiait que l'Église d'Angleterre avait rompu la communion avec les provinces les plus fidèles de la Communion anglicane. Rappelons que la GFSA représente 75 % de tous les anglicans du monde (environ 64 millions d'anglicans) et la province du Burundi en fait partie

Malgré cela la province anglicane du Burundi a toujours eu une position vacillante sur l’appartenance aux entités conservatrices de cette Eglise comme GAFCON qui, après l’annonce, a demandé à l’archevêque de se repentir publiquement de son apostasie.

Il est vrai que la province anglicane du Burundi est membre de GFSA, mais elle n’a jamais quitté la communion anglicane[3] pour devenir une province GAFCON, un souhait des gens plus conservateurs comme Mgr Seth Ndayirukiye mais qui n’a jamais été réalisé. Quand des rumeurs ont circulé que la province anglicane de Bujumbura envisageait de quitter la Communion anglicane pour GAFCON, L’archevêque Sixbert Macumi s’est précipité de démentir publiquement les rumeurs.

Beaucoup pensent que Mgr Ntahoturi aurait eu tant d’influence sur ce positionnement douteux.

Les démissions de Ntahoturi et Welby…

Ntahoturi avait été nommé par l’archevêque de Canterbury le 17Mars 2017, mais il avait commencé ses fonctions le 26 Octobre. A peine une année, plus précisément le 21Decembre en 2018, il démissionnait pour raison d’inconduite sexuelle dont les détails n’ont jamais été révélés au public. Beaucoup pensent qu’il fut victime d’un coup monté par des gens habités par la jalousie et le racisme.

Néanmoins certains émettent encore des doutes surtout après la démission de Welby, l’archevêque de Canterbury en Novembre 2024 après un rapport qui a indiqué qu’il était au courant des abus sexuels d’un certain John Smyth depuis 2013 et qu’il n’a rien fait. Le long rapport de 251 pages de Makin Review Markin a indiqué qu’au total, John Smyth a été tenu responsable des violences infligées à au moins 115 enfants et jeunes hommes en Angleterre, au Zimbabwe et en Afrique du Sud. Le rapport indique que Smyth a soumis des garçons et des jeunes hommes à des violences physiques et sexuelles « brutales et horribles » sur une période de 40 ans. Welby n'a pas signalé Smyth aux autorités lorsqu'il a été informé des abus en août 2013, peu après son accession à l'archevêché de Canterbury. S'il l'avait fait, Smyth [4] aurait pu être arrêté plus tôt et de nombreuses victimes auraient pu être épargnées, selon l'enquête.

Ajoutons que la démission de Welby est arrivée dans un contexte historique marqué par des abus sexuels généralisés au sein de l'Église d'Angleterre. Un rapport de 2022 de l'Enquête indépendante sur les abus sexuels sur mineurs a révélé que le respect de l'autorité des prêtres, les tabous entourant les discussions sur la sexualité et une culture qui soutenait davantage les auteurs présumés que leurs victimes ont contribué à faire de l'Église d'Angleterre « un lieu où les agresseurs pouvaient se cacher ».

Une dernière note personelle

J’ai personnellement rencontré Mgr Ntahoturi il y a deux ans. Je voulais apprendre plus sur l’histoire de l’Eglise du Burundi.  J’ai eu la joie de discuter avec lui bien que je n’aie pas pu tourner les émissions que je voulais faire avec lui. Il m’a paru un homme intelligent, accessible et pastoral. Bien que je sache que ses positions libérales ont conduit l’Eglise anglicane vers une mauvaise direction, j’ai aussi constaté que sur le plan personnel, il gardait un ton d’un évangélique conservateur ce qui m’a laissé croire que peut être ses décisions étaient plus diplomatiques que des convictions personnelles.

En outre j’ai écrit comme un outsider à l’Eglise anglicane et je me suis intéressé beaucoup plus aux aspects globaux de son ministère. Ceux qui l’ont connu mieux que moi sur le plan local trouveraient sans doute d’autres aspects plus positifs de son caractère et de son ministère.

[1] Une province anglicane est une entité géographique et ecclésiastique autonome au sein de la Communion anglicane, dirigée par un primat (archevêque ou évêque principal) et dotée de sa propre structure de gouvernance. Pour devenir une province, une église locale doit généralement passer par un processus d'autonomie et de reconnaissance par la Communion anglicane, souvent après avoir démontré une maturité organisationnelle et spirituelle. La Province de l'Église Anglicane du Burundi a vu le jour en 1992 et couvre l'ensemble du Burundi. C'est une province de neuf diocèses – Buhiga, Bujumbura, Buye, Gitega, Makamba, Matana, Muyinga, Rumonge et Rutana.

[2] GAFCON :est un mouvement mondial d'anglicans conservateurs, fondé en 2008, qui vise à « réorganiser la Communion anglicane dans une joyeuse soumission à l'Écriture Sainte ». Il est né en réponse aux différends théologiques au sein de la Communion anglicane, notamment sur des questions comme les relations entre personnes de même sexe. L’Église anglicane du Burundi a déjà  participé aux événements de GAFCON, tels que GAFCON II à Nairobi et GAFCON III à Jérusalem. Mais elle n’en fait pas partie bien que ce soit le désir de certains évêques conservateurs

[3] GFSA Fondée en 1994, la GSFA est composée d'environ 25 provinces dont l'objectif est de préserver la foi transmise, de s'unir dans la mission et le ministère, d'établir une responsabilité mutuelle entre les provinces membres et d'œuvrer pour le bien-être de la Communion anglicane. Le Burundi en fait officiellement partie. La Communion anglicane est l’ensemble des Églises anglicanes et épiscopales (on dit “provinces”) en communion avec l’Archevêque de Cantorbéry. C’est un regroupement mondial d'Églises chrétiennes partageant une histoire et une tradition communes, centrées autour de l'Église d'Angleterre.

[4] Plus sur les atrocités de John Smyth lisez cet article complet