Qui était-il ?

Tertullien de Carthage est un apologète qui a beaucoup contribué à la solidification de la foi chrétienne pendant sa période formatrice. Avec Cyprien et Augustin, ils restent trois Africains qui ont été le plus utilisés par Dieu pour fortifier l’Eglise pendant ses premiers siècles.

Né Quintus Septimius Florens Tertullianus, son père était un centurion romain. Tertullien serait né  vers 155 – et mort  v. 230. Il a vécu presque toute sa vie à Carthage, en Tunisie actuelle. Maître de la rhétorique et juriste de formation, il excellait en grec et en latin. Il exerça pendant un temps relativement court à Rome. Avant sa conversion, il s’adonnait à toute sorte de dérèglement moral: les jeux, la promiscuité sexuelle. Alors qu’il menait sa vie païenne, il regardait les chrétiens se faire tuer à cause de leur foi. Il assista à tant de martyrs dans les arènes. Vers l’an 185 il se convertit. On ne connait pas beaucoup de détails de sa conversion, mais il est fort possible que Dieu lui ait parlé à travers la mort en martyrs de chrétiens.

Tertullien, le maître africain

Après sa conversion il fut consacré comme presbytère à Carthage et débuta un long ministère d’écrivain. Il est souvent reconnu comme le père de la théologie latine. Il fut le premier des Pères de l’Eglise à écrire en latin. Il donna à l’Eglise un vocabulaire pour exprimer leur foi. C’est grâce à lui que nous avons le mot Trinité dans notre vocabulaire chrétien. Il s’en servit pour la première fois quand il écrivait son livre Contre Praxus. Il avait un tempérament solide,  une forte personnalité. Alors que l’Eglise luttait pour survivre, il prit sa plume pour la défendre de l’intérieure contre les  hérésies et de l’extérieur contre les persécutions.

Tertullien et le marcionisme

La plus menaçante hérésie qu’il eut à combattre était le marcionisme. Ce mouvement religieux hérétique était basé sur les enseignements d’un certain Marcion de Sinope.

Marcion tenait à de nombreuses opinions erronées, mais il est surtout connu pour sa conviction que les Écritures de l'Ancien Testament ne faisaient pas autorité pour un chrétien. Il a nié que le Dieu de l'Ancien Testament était le même Dieu présenté dans le Nouveau Testament. Pour Marcion, Jésus était le Fils du Dieu du Nouveau Testament mais pas le Fils de la Divinité décrite dans les Écritures hébraïques. Les divinités de l'Ancien et du Nouveau Testament étaient, du point de vue de Marcion, littéralement deux dieux différents. Marcion n'a pas nié l'existence du dieu de l'Ancien Testament (ce qu'il appelait un Démiurge). Il a simplement classé ce dieu comme une divinité secondaire, celle qui était inférieure au Dieu suprême révélé en Jésus.

D’autres Pères de l’Eglise ont aussi combattu ces faux enseignements. Il s’agit notamment de Justin Martyr (AD 100-165), Irénée de Lyon (AD 130-200) et Hippolyte (AD 170-235). Aujourd’hui encore on peut facilement retrouver les rudiments du marcionisme dans le mouvement antinominianisme comme chez Joseph Prince et autres qui opposent Ancien testament et Nouveau testament en termes tellement polarisants que l’Ancien Testament n’aurait plus aucune utilité pour le croyant  du Nouveau Testament

Tertullien, l’apologète charismatique

Il eut un autre mouvement spirituel nommé le montanisme et qui fut condamné pendant le concile de Rome. Contre toute attente, celui qui était connu comme le pilier de l’orthodoxie se rangea du côté de ceux qui étaient perçus comme des hérétiques. Il choqua beaucoup quand il prit sa plume pour les défendre. Aujourd’hui encore, la plupart des ouvrages de l’Histoire de l’Eglise et auteurs populaires en parlent comme une hérésie.

Cet article prend une position minoritaire et appelle à un examen plus objectif de la situation. Un homme aussi théologiquement avisé que Tertullien devrait avoir des raisons pour rejoindre leur camp. Cela nous interpelle peut être à essayer d’y voir plus clair et discerner quelque chose que beaucoup auraient pu louper. Cet article s’attardera un peu sur cette controverse montaniste. Après avoir fini la rédaction de cet article, j’ étais soulagé de voir que The Gospel Coalition épouse également la position minoritaire sur le montanisme dans cet article.

Il est difficile de savoir exactement à quoi ressemblait ce mouvement si presque tout ce que nous savons sur lui provient de la bouche de ses détracteurs. Tertullien a écrit au moins sept volumes pour les défendre mais aucun n’a survécu et plusieurs spéculent qu’il y eut une action délibérée de les faire disparaitre.

D’après ce que l’on sait, on peut dire brièvement que vers 170 AD en Asie mineure, dans la région connue comme Phrygie, une jeune convertie, nommé Montanus, ancien adepte de Cybèle, commença à prophétiser. Deux prophétesses le rejoignirent Priscilla et Maximilien. Il y eut un renouveau spirituel lié à la redécouverte des dons surnaturels comme le parler en langues, la prophétie et autres. Dans une période où les manifestations du Saint Esprit commençaient à flâner, cela ne manqua pas de susciter des polémiques et controverses.

Même dans les écrits de l’historien Eusèbe qui était anti-montaniste, se décèle une grande incertitude parmi les chrétiens à tous les niveaux quant à savoir si la nouvelle prophétie était authentique ou non. Un certain Praxa était un des opposants les plus farouches du mouvement.  Tertullien raconte qu’au début les dons prophétiques de Montanus furent reconnus par l’Evêque de Rome. Mais plus tard, toujours selon Tertullien, Praxa émit avec insistance de fausses accusations contre les prophètes eux-mêmes et leurs églises…ce qui a obligé l'évêque de Rome à rappeler la lettre pacifique qu'il avait émise, ainsi qu'à renoncer à son intention de reconnaître lesdits dons. (Contre Praxeas ch. 2).

Plus tard, le mouvement sera déclaré hérétique dans le concile de Rome. Néanmoins même le père de l’Eglise Irénée de Lyons avait découragé une telle démarche et avait conseillé à l'évêque Éleuthère de Rome (182-89) d'être doux, modéré et de considérer les montanistes comme des chrétiens orthodoxes. C’est dans de telles circonstances que le montanisme fut interdit à l'Ouest, lors d'un concile et ses adeptes chassés de Rome.

Ils étaient nombreux en Asie Mineure, puis se multiplièrent en Afrique du Nord. Bien que le montanisme fut interdit en Occident, il continua à prospérer dans d’autres parties surtout en Asie mineure et Carthage. Ils croyaient en l’imminence du retour de Jésus, et qu’il allait se manifester en Phrygie, plus précisément à Pepuza qu’ils baptisèrent la Nouvelle Jérusalem. Ils y établirent une sainte communauté qui vivait ensemble.

Sur le plan spirituel et moral, les Montanistes se distinguaient de la corruption qui se faisait déjà remarquer parmi les évêques, ce qui révoltait Tertullien. Il voyait en ce mouvement le puritanisme et la spiritualité des montanistes comme un remède au manque de sainteté de certains évêques. Parmi eux:

Comme on peut voir il y avait quelques exagérations. Nonobstant, basé sur le principe que "vous les reconnaîtrez à leurs fruits", personne ne peut condamner Tertullien d’avoir  jugé que les montanistes de sa région étaient un mouvement pieux au sein de l'église et non un mouvement hérétique quelconque.

Bien que les Montanistes soient accusés d’apporter une nouvelle doctrine par les dons prophétiques, l’historien Needman affirme que leurs prophéties n’apportaient pas une nouvelle doctrine car elles se rapportaient surtout au domaine éthique et moral et non théologique et doctrinal[1]

Sur le plan ministériel, il est important de réaliser que si les charismes qui ont provoqué la polémique faisaient partie de la vie normale de l’Eglise, le montanisme n’aurait pas suscité une telle agitation. Le montanisme est apparu suite a une apathie spirituelle de l’Eglise officielle et de ses leaders dans les choses de l’Esprit.

"La montée du montanisme nous oblige à poser des questions historiques importantes sur les dons surnaturels du Saint-Esprit à l'époque des apôtres (prophétie, langues, guérison miraculeuse) et s'ils ont continué dans l'église après le 1er siècle après JC. Les preuves suggèrent que ces dons se sont poursuivis dans l'Eglise, mais ils étaient beaucoup moins courants au IIe siècle. Le montanisme semble être venu comme une nouvelle explosion du surnaturel.[2]

Tertullien concevait la propagande anti-montaniste comme une tentative d’étouffer le véritable mouvement de l'Esprit.

Le montanisme était biblique et orthodoxe dans ses principes de base. Un de ses défenseurs, Tertullien, était un homme extrêmement prudent dans l’aspect de l’exactitude doctrinale. Néanmoins, comme il en a été toujours le cas de tout mouvement de l’Esprit, il peut être substantiellement doctrinal mais comporter également quelques déviations. Ces dernières varient souvent d’ampleur d’un lieu à l’autre, mais elles sont souvent  suffisantes pour attirer une stigmatisation générale de la part des opposants.

Parmi ces déviations, on peut inclure le fait que les Montanistes comprenaient que la promesse du Paraclet (l’Esprit) faisait référence aux leaders du Mouvement. Ils croyaient que l’Esprit, le Paraclet était venu sur eux de façon unique pour conduire l’Eglise vers une pleine vérité. Dans leur ferveur prophétique, ils ne croyaient pas qu’il y aura une nouvelle ère de l’explosion de l’Esprit. Maximilien avait tort quand il a prophétisé qu’après lui, il n’y aura pas d’autres prophètes.

Bien qu’il y ait eu de brèves saisons de réveil prophétique et charismatique dans l’histoire de l’Eglise, la fin du 19eme siècle et du 20eme siècle ont vu une explosion extraordinaire de l’Esprit à travers du mouvement pentecôtiste et charismatique. C’est un mouvement qui a transformé radicalement l’Eglise dans plusieurs aspects et apporté un renouveau. On n’est pas surpris d’entendre encore des théologiens crier «  Attention! encore les montanistes hérétiques… » Heureusement, comme il y avait des “Tertullien” au 2eme siècle, aujourd’hui encore il existe des théologiens solides qui défendent la cause des pentecôtistes & charismatiques. Parmi eux: Craig Keener, Gordon Fee, Wayne Grudem, John Piper, Jack Deere, D.A Carson, Sam Storms, Martyn Lloyd Jones, F.F Bruce et autres.

Alors que la persécution devenait de plus en plus farouche, le montanisme se sépara de l’Eglise officielle. Cela entraîna également plus de déviations chez certains montanistes. A l’instar de ce qui se passe encore aujourd’hui chez les charismatiques, certains montanistes ont donné à leurs adversaires une occasion parfaite de stigmatiser l'ensemble du mouvement comme hérétique. Il est juste de dire qu’une certaine version du montanisme aurait pu être hérétique dans un endroit alors que dans d'autres endroits, il était entièrement orthodoxe et serait aujourd'hui considéré comme précurseur du mouvement pentecôtiste charismatique. Tertullien accusait les leaders de Rome d’être avides de protéger leur pouvoir que d’écouter l’Esprit. L’Histoire a tendance à se répéter, nous commettons aujourd’hui la même erreur!

Besoin de théologiens africains robustes

Un tempérament solide et une maturité théologique permirent à Tertullien de s’opposer à l’Occident. Il sacrifia sa respectabilité intellectuelle pour défendre un mouvement minoritaire et imparfait : Le montanisme. Qu’il soit notre modèle.

Je déplore tant de controverses importées inutilement en Afrique par l’Occident chrétien, des réponses aux questions que l’africain ne se pose pas, tant d’impérialisme religieux, tant d’endoctrinement aveugle, tant de conditionnement intellectuel, tant de combats théologiques inutiles ! Il est temps de se réveiller. Il est temps pour l’Afrique de regagner la respectabilité intellectuelle qu’elle jouissait tant dans le passé et arrêter de subir l’Histoire.

[1] Nicholas R. Needham, 2,000 Years of Christ's Power Vol. 1: The Age of the Early Church Fathers,  p.113

[2]  Ibid.,115.